CONTRETEMPRESENT



Avec le temps, quand on se rend compte qu’il en reste moins à faire qu’on en a fait, on croit avoir presque tout vu et entendu. Son fantasme, on a tenté avec plus ou moins de bonheur de le vivre, caché pour ma part, mais cela importe peu sinon qu’on soit à cheval sur deux vies parallèles qui ne se croisent jamais, du moins c’est ce qu’on évite. Un fantasme dans les compartiments d’un train. Une routine sur des rails qui conduisent sans escale vers le terminus.

Des chuchotements dans l’oreille des prostituées aux petites annonces rédigées. Des pros sans émotion qui ne font que leur métier. Des coups de téléphone dans la cabine d’un bistro au rendez-vous sous les arbres d’un square ou dans le confort d’un restaurant. Des rencontres sous la pluie glaciale et remise à plus tard. Isolé dans la campagne, dans une cave étroite ou dans l’espace d’un salon. Le danger des prédateurs. La jouissance d’une bonne réalisation à la déception des mauvaises. Habillé, costumé ou nu. Du soft au hard, du sucré au piment. Du féminin au masculin… J’avais tout fait avant internet.

Aujourd’hui, comme beaucoup, on ballade sur le web, de forum en forum qui sont, bien entendu, traitant sujet qui nous chatouille entre les jambes. On s’inscrit, on poste des messages, on se désinscrit et on oublie.

Ainsi, va… Des personnes à l’autre bout du câble qu’on effleure du bout des doigts sur son clavier. Rarement d’images et de son, rien que des lettres écrites sur les pages vierges de l’écran. Parfois quelques rencontres, des rendez-vous assurés ou manqués. Des promesses qui se perdent dans la toile, des divergences, des accords, des colères et des rires. On raconte son histoire, on raconte des histoires…

Je pensais que plus rien ne pouvait m’étonner ou m’arriver de ce que je n’avais déjà pas vécu si ce n’est que quelques détails qui ne feraient pas assez de différences. Les grandes émotions, les grandes peurs, les grands frissons, les ratés et les divines expériences, tout ça était derrière moi… Des souvenirs que je ne raconterais jamais à mes proches.

Toujours à la recherche de sites meilleurs au plus près de ma façon de voir, je naviguais dans le schéma informatique. D’un message privé, un jour quelqu’un m’invita sur un forum qu’elle me vantait.

Pourquoi pas ! D’un tour de souris et quelques touches frappées me voilà inscrit. Au début, comme tous, on découvre les thèmes proposés, on consulte les messages, on se gratte le front, on cherche un avatar original, on découvre sans surprise quelques connaissances virtuelles inscrites ailleurs, on relit les messages et on se plonge dans quelques récits. Une fois le tour du propriétaire fait, on commence à répondre puis on envoie un nouveau message et petit à petit on s’intègre dans ce nouveau Lieu.

Je dois avouer que ce site-là correspondait bien plus que les autres à ce que je recherchais. Le fait qu’une impératrice veillait m’avait sans doute inspiré et invité à m’installer durablement. C’est sur ce forum que je me suis le plus dévoilé. Je postais des réponses, des témoignages et bientôt des récits fiction que j’illustrais en y faisant jouer des membres du forum. C’était la première fois que j’introduisais dans mes fantaisies des personnages réels. Étrange d’ailleurs puisque ces derniers je ne les connaissais que de pseudo et d’écriture. Bonnes et bons joueurs, elles et ils ont aimablement accepté de me prêter leur existence informatisée.

Ainsi je les conduisais dans des aventures plus ou moins réussies jusqu’à ce que j’écrive les premières lignes de Fantasmaginaire 2. Je tapais ces paragraphes de fiction conduite par un souffle inspiré, sans doute avais-je trouvé une nouvelle motivation dans mes relations numériques avec les chipies et certains de leurs complices.

Jamais je n’aurais imaginé que cette petite fiction allait bouleverser ma petite vie parallèle que je croyais déroulée d’avance jusqu’au générique.

Ce n’est pas le relatif succès du texte ni même celui des illustrations qui allait bousculer les meubles de mon intérieur secret. Non… d’un échange de communications privées, une flamme depuis un moment en perte d’oxygène allait se ranimer et réveiller des envies jusqu'à même avoir des érections derrière mon écran alors qu’il n’affichait que les lignes d’un message qui n’engageait rien de certain.

Le jeu poussé toujours plus loin et l’invitation à participer à l’ouverture d’un nouveau site. Tout ça devenait passionnant et excitant. Je m’amusais et c’était bien là le principal, mais, entre les costumes de nos rôles, entre les lignes et derrière les décors de notre théâtre, il y avait les entre parenthèses d’un rendez-vous.

Étrange comme celui-là prenait une importance que je n’aurais jamais imaginée. Pourquoi ce pincement rien que d’y songer alors que je pensais que l’histoire de mon fantasme était déjà imprimée ?

Un sentiment, une émotion… Enfin quelque chose que j’avais presque oublié. Je ne pourrais en d’écrire l’exacte ivresse comme je ne peux imaginer ce qu’il en sera. Il y avait longtemps que je n’avais pas eu peur ! Non une peur d’être floué ou d’être victime, simplement une peur telle celle qui prend les tripes d’un jeune acteur qui entre pour la première fois sur scène. La peur de décevoir… Décevoir ce terrible sentiment qui vous torture bien plus que la pire des fessées. Peur sournoise qui vous rend maladroit, incohérent, empêtré… La peur de votre physique passé et qui ne reviendra plus. La peur de tout rater !

Il y avait longtemps que je n’avais pas été aussi impatient… Impatient de quoi ? D’un rendez-vous presque programmé ! Allons, combien en avais-je eu auparavant et pourquoi celui là plus qu’un autre ? Je n’avais aucune réponse. Tout ce que je savais, c’est que j’avais en main un billet non composté.

Mikespkg